On se fait assommer de pubs pour des VPN qui protègent notre vie privée, puis on se rappelle les mises en garde de Snowden, le scandale Cambridge Analytica et ensuite l'arrivée du RGPD. Ces événements ont amené à beaucoup entendre ce terme de protection de la vie privée. Mais en fait, de quoi parle-t-on exactement ?

Un peu d'histoire du concept de vie privée

A noter: Le terme français “vie privée” est utilisé comme traduction du mot anglais privacy.

Le terme vie privée vient du latin privatus, « séparé de, privé de ». C’est la capacité, pour une personne de s'isoler afin de protéger son bien-être.

Bien avant le numérique, ce terme est utilisé dans deux usages communs:

  • La définition de son espace intime, en particulier au sujet de ses relations amoureuses et sexuelles. On parle de respect de sa vie privée lorsqu’une personne fouille ton journal intime et y découvre tes amours, ou bien lorsqu’un hôtel est très mal insonorisé et que tu peux entendre la vie intime des voisin.es de chambre..
  • On retrouve également ce terme dans une séparation entre sa vie “personnelle”, c’est à dire amoureuse, familiale, ses hobby, son état de santé, en opposition à sa vie publique, c’est à dire sa place dans la cité, notamment par le professionnel, et particulièrement pour les personnalités publiques, en premier lieu avec le politique.
selective focus photography of pen
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Aristote faisait déjà cette distinction entre l’oikos, sa vie dans le cadre domestique, et polis, sa vie dans le cadre public (en particulier ses activités politiques).

Avec ces deux usages on comprends déjà que le terme de vie privée est un élément de langage essentiel dans la définition de cadres juridiques permettant l’instauration de la liberté de penser dans toutes ses facettes, allant de la liberté de culte à la liberté d’affiliation politique et donc de pluralisme. On le comprends immédiatement: pas de vie privée dans les totalitarismes ou régimes autoritaires en tout genre.

Les briques qui forment le concept de vie privée

Il y a trois éléments clés qui définissent la vie privée:

  • Les informations considérées comme privées (ta religion, ton orientation politique, sexuelle etc …)
  • La frontière qui définit la limite entre ce qui est considéré comme privé et comme public, et permet de séparer les 2 sphères.
  • L’altérité résidant dans la sphère publique, susceptible de pénétrer dans ta sphère privée afin d’y recueillir les informations privées.

Avec le numérique, la vie privée est exercée dans un nouvel environnement, mais le concept reste le même

Prenons le cas de l’orientation politique, on va voir que même dans l'espace numérique, le concept de vie privée ne change pas en lui-même.

  • Information privée: Ton vote et tes opinions politiques.
  • La frontière: la sphère privée englobe la totalité de tes opinions politiques que tu n’as pas divulgué volontairement au grand public. Toute action d’autrui pour y accéder sans ton consentement est donc une violation de cette frontière, une pénétration dans ta sphère privée.
  • L’altérité ne change pas non plus: il peut s’agir de l’Etat dans lequel tu vis.

Le numérique rend plus compliquée la définition des éléments de la vie privée

En fait là où le numérique a chamboulé le concept, c'est que définir les éléments qui constituent la vie privée devient de plus en plus complexe.

Tout d'abord, certains usages comme celui des réseaux sociaux introduit une grande difficulté de définition de la frontière entre ce qui est privé et public.

A chaque fois que tu écris un commentaire public ou fais un like tu peux avoir l’impression que cette action relève de la sphère privée, partagée entre toi et la personne qui a posté le contenu. Or cette impression est fausse. Nos actions sur les réseaux sociaux sont publiques ou le deviennent.

D'autre part, le numérique introduit un processus nouveau, qui ne pouvait pas vraiment exister avant le big data, c'est la capacité à extraire, processer et analyser des millions de données produites par une personne.

Ce processus c'est la capacité à extraire une information privée à partir de millions de données publiques.

C'est à dire qu'aujourd'hui tu n'as jamais écris sur les réseaux "je vote pour xxx".

Mais en analysant les millions de likes, commentaires et interactions que tu réalises sur un ou plusieurs réseaux sociaux on peut extraire ton intention de vote. C'est exactement ce qu'à fait Cambridge Analytica avec les données issues de Facebook et qui ont permis de détecter et cibler les personnes dont l'intention de vote était "incertaine", puis de leur diffuser des publicités politiques pour orienter leur vote.

Les avancées techniques actuelles permettent de faire à grande échelle ce qui était impensable avec des documents papier.

On est donc dans une situation où la somme de toutes tes informations publiques peuvent être compactées pour en déduire des informations privées.

Deux autres éléments essentiels:

  • il est techniquement impossible de garantir qu'une donnée sécurisée / privée le reste à tout jamais.
  • Il est également techniquement impossible de garantir qu'une information et toutes ses copies soient effacées.

Voilà pour aujourd’hui! Et si tu te dis “oui mais de toute manière je n’ai rien à cacher”, je te retrouve au prochain épisode pour traiter précisément de ce sujet !

Vie privée: Pouvons-nous vraiment accepter l’argument “Je n’ai rien à cacher” ?
Une phrase que j’entends énormément dès que l’on parle de protection de la vie privée c’est “Oui mais moi je n’ai rien à cacher”. Sous-entendu, je ne suis ni criminel.le, ni agent.e de renseignement, activiste politique ou même journaliste d’investigation. Petite analyse et débunk. Premièrement,