Une phrase que j’entends énormément dès que l'on parle de protection de la vie privée c’est “Oui mais moi je n’ai rien à cacher”. Sous-entendu, je ne suis ni criminel.le, ni agent.e de renseignement, activiste politique ou même journaliste d'investigation.

Petite analyse et débunk.

Premièrement, cette phrase ne peut pas être correcte car elle n’est pas assez précise. Dans mon précédent article sur la vie privée, on a vu que le terme de vie privée était nécessairement composé de:

  • L’information dite privée.
  • La frontière entre le privé et le public.
  • L’altérité résidant dans la sphère publique, susceptible de violer la frontière pour accéder à l’information privée.

Dans la pratique, on peut observer qu’une notion supplémentaire existe en filigrane dans le concept de vie privée: le risque.

Quel est le risque que l’altérité viole la frontière de ma vie privée pour accéder à une information privée ? Quelles en seraient les conséquences ?

Et pour correctement poser cette question, il est donc nécessaire de préciser de quelle altérité on parle, de quelle information privée et quelles conséquences.

  • Quelle information estimes-tu publique ?
  • Où est-ce que tu situes la frontière entre les sphères privées et publiques ?
  • Envers quel acteur n’as-tu rien à cacher ?
  • N’y a-t-il vraiment aucuns risques à la divulgation de cette information à cet acteur ?

C’est la raison même de la définition de cette frontière entre vie privée et publique. S’il n’y a pas de conséquences néfastes à ce que l’autre dépasse la frontière et accède à son information privée, alors il n’y a pas de raison à cette frontière.

Reformulons donc cette phrase avec précision, et prenons l’exemple de tes opinions religieuses:

Aujourd’hui, vivant dans un État républicain et laïc, je considère que si l’administration assermentée de cet État avait connaissance de mes opinions religieuses cela n’aura pas de répercussion négative sur mon statut de citoyen, mes droits aux aides sociales, mon intégrité physique etc…

Dans le même cadre, et avec la même information, on a tout de même beaucoup plus de mal à dire:

Aujourd’hui, même dans un État républicain et laïc, est-ce que je considère que si mon employeur a connaissance de mon opinion religieuse cela n’aura aucunes répercussions négatives ?

Un autre élément essentiel, inhérent au numérique, qui fausse nécessairement le "je n'ai rien à cacher" c’est la persistance de nos informations numériques jusqu’à la fin de temps.

Aujourd’hui, pour toi, il est peut-être effectivement sans risque que ton État ait connaissance de tes opinions religieuses (et tant mieux!). Mais une fois que cette information est enregistrée sur internet, et dans les systèmes de État, supposons que demain cet État ne soit plus laïc et républicain, dans ce cas, tu auras quelque chose à cacher. Et ce sera trop tard.

two women facing security camera above mounted on structure
Photo by Matthew Henry / Unsplash

Le "je n’ai rien à cacher" ne peut pas omettre les évolutions futures des acteurs qui détiennent nos données, qui sont, elles, enregistrées à tout jamais. Tu n’es peut-être aujourd’hui pas un.e activiste politique, mais tu peux le devenir demain, indépendamment de ta volonté car tes opinions ne seront plus acceptées par l'État dans lequel tu vis.

Et c’est vrai avec chaque pan de ce que peux composer la vie privée:

  • Tes opinions politiques, sociales, et sociétales
  • Tes opinions religieuses
  • Ton identité et ton orientation sexuelle

Evidemment vu comme ça, on s’approche facilement de scénarios apocalyptiques catastrophes, et en même temps, c'est bien en ce sens qu'il est important d'avoir conscience des risques.

Mais sur des sujets moins critiques, au sens où ton intégrité physique est moins en jeu directement, c’est le cas du stockage des données de santé.

Aujourd'hui tu n’as rien à cacher sur ton état de santé à ta banque tant que tu es en bonne santé et/ou que ta banque n’obtient pas ou n’utilise pas tes données de santé. Mais si demain ton état de santé change et que ta banque utilise tes données de santé afin “de prévenir à l'accroissement du taux de défaut” on voit vite les conséquences néfastes arriver...

Ce sont ces questionnements essentiels sur la vie privée qui conduisent à mieux définir qui a le droit de savoir quoi sur toi. Parce qu’au final, on ne devrait pas pouvoir accéder et utiliser tes données personnelles sans ton consentement, et un consentement c'est jamais flou. C'est libre, précis, éclairé et révocable.

Et ça, c’est l’objet du prochain épisode: Consentement: Sexe, amour and GDPR !

Consentement: Sexe, amour and GDPR !
Le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) c’est le fameux règlement européen qui a fait fleurir sur (presque) tous les sites web un bandeau pour te demander si tu acceptes les cookies. Personne n’a vraiment compris pourquoi, personne n’a vraiment compris ce qu’étaient les